ARTICLES ET VIDÉOS, REMERCIEMENTS, (et quelques liens)
Merci au public chaleureux et bienveillant qui a assisté à cet hommage très spécial hier soir à la librairie Le Port de Tête, à Montréal. Merci à la librairie et aussi aux participants, en premier lieu Martine Audet, et François Turcot, Shawn Cotton, Anna Perreault et Alexandre Perreault, Julien Lefort-Favreau par zoom et Anne-Renée Caillé par texte interposé, avec Raphael au son, Antoine aux sourires, Olivia à la caméra!
Et Shawn pour l'affiche, Nadine Ltaif pour la photo!
Élisabeth Roudinesco pour l'Humanité du 21 juillet
Né à Marseille le 25 avril 1931, Henri Deluy aura occupé une place centrale dans le champ de la poésie française et internationale de la deuxième moitié du XXe siècle. Auteur d’une centaine de titres, dont de nombreuses anthologies, initiateur en 1990 d’une Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne qui eut un franc succès, il était le fils d’un peintre en bâtiment et d’une coiffeuse d’origine italienne. Il se confronta d’emblée au cosmopolitisme de la cité phocéenne, où se mêlaient tant de cultures et de langues issues du monde méditerranéen, entre le Levant, l’Afrique et l’Occitanie.
Aussi fut-il habité autant par la fièvre voyageuse que par le rêve de devenir un aventurier des mots et de l’écriture à la manière d’Arthur Rimbaud ou de Lautréamont. Il cultivait l’art d’un formalisme lyrique inspiré par les Troubadours et traversé par un humour tonitruant à la façon de Benjamin Péret, le poète le plus transgressif du groupe surréaliste. Son engagement de militant communiste allait de pair avec le refus de faire de l’art et de la littérature l’instrument d’une idéologie.
Henri Deluy parlait une bonne dizaine de langues, ce qui lui permit, sa vie durant, d’être partout chez lui et nulle part assigné à résidence : à Moscou, à New York, à Pékin, à Rio de Janeiro, à Mexico, au Népal ou encore aux Goudes ou à la Fête de l’Humanité, toujours installé à la terrasse d’un bistrot, toujours amoureux du tango, toujours nourri de la mythologie des lupanars et des gens de couteaux, toujours en quête de quelques roses de cimetière en céramique qui lui rappelaient sans doute des souvenirs secrets.
Anticolonialiste de la première heure, d’abord anarchiste puis communiste, il fut élevé par Edmond Faure, son beau-père, chef cuisinier sur des paquebots, qui lui donna le goût des bouillons, du pistou, de l’échalote et du poireau en chemise. Henri Deluy mangeait la mer et le chocolat comme il dévorait les livres et les langues, trouvant souvent son inspiration dans des objets insolites : banals cahiers, cailloux usés par la mer, portraits ramassés dans des brocantes. Aussi exerça-t-il, tel un maître des fourneaux, tous les métiers de plume. Poète, journaliste (à la Marseillaise, aux Lettres françaises, à l’Humanité), éditeur, traducteur, organisateur de colloques et de rencontres, libraire, bibliothécaire (à Ivry-sur-Seine).
Pendant plus de cinquante ans (1958-2012), il dirigea la revue Action poétique, où se retrouvèrent, à un moment donné de leur destin, les meilleurs poètes français de trois générations : de Joseph Guglielmi à Anne-Marie Albiach, en passant par Jacques Roubaud, Jean-Jacques Viton, Liliane Giraudon, Bernard Vargaftig, Paul-Louis Rossi, Charles Dobzynski et des dizaines d’autres.
Fondée à Marseille en 1950 par Gérald Neveu et Jean Malrieu, Action poétique se nourrissait de l’errance esthétique de ses fondateurs, fils d’immigrés, marqués par la mélancolie nocturne des bars portuaires. À leurs yeux, la vraie vie s’inventait entre le Bar de la Gaieté et le Peano, entre le quartier Vauban et le cours d’Estienne d’Orves. On y célébrait le rire et le tragique, la dérision et l’extravagance, le mime et le sacré.
Très jeune, Deluy avait envoyé des poèmes à Blaise Cendrars, qui habitait Aix-en-Provence. Il fréquenta les Cahiers du Sud, avant de rejoindre en 1954 le comité d’Action poétique, puis d’en prendre la direction quatre ans plus tard.
Sous la houlette de Deluy, et sous le regard critique et bienveillant de Louis Aragon, figure tutélaire de deux générations de poètes qui refusaient de brader l’idéal de la révolution d’Octobre, tout en se réclamant du surréalisme, Action poétique sera donc une revue agitée, traversée de conflits, d’antistalinisme et d’attachement exacerbé à l’internationalisme. Néanmoins, les disputes ne conduisaient pas à des ruptures définitives. Jamais Henri Deluy ne cherchait à éviter les joutes verbales auxquelles se livraient les membres de cette tribu hors du commun.
En 1964, invité pour un long séjour en Tchécoslovaquie, il s’enthousiasma pour les artisans du printemps de Prague, parmi lesquels il comptait des amis.
Les événements de mai 1968 et l’écrasement du printemps de Prague par les troupes soviétiques furent à l’origine d’un tournant radical dans l’évolution de la revue. Le 21 mai, avec de nombreux écrivains – Bernard Pingaud, Michel Butor, Jean-Pierre Faye, Philippe Sollers... –, il occupa l’hôtel de Massa, siège de la SGDL, et participa à la fondation d’une Union des écrivains. Pendant un mois, tous les représentants de l’intelligentsia littéraire se donnèrent rendez-vous dans ce lieu magnifique pour débattre, par revues interposées, de la révolution, du structuralisme, du communisme, de la psychanalyse, de la linguistique : Action poétique, Tel Quel, Change, Promesse (Jean-Louis Houdebine et Guy Scarpetta), et, plus tard, Digraphe (Jean Ristat).
C’est en effet à travers cette grande floraison de revues de poésie et de littérature, très lues à cette époque par des enseignants, des instituteurs ou des travailleurs sociaux, que se déployèrent, jusqu’en 1985, des débats intellectuels qui n’avaient pas lieu de la même manière à l’université ou dans des revues plus classiques comme les Temps modernes, Critique ou Esprit.
Par la suite, Deluy donna une impulsion forte à sa revue qui devint un lieu de réflexion sur les avant-gardes littéraires – futurisme, agit-prop, Proletkult – en liaison avec une collection accueillie par l’éditeur François Maspero. C’est en 1969 que j’entrai au comité d’Action poétique, en même temps que Mitsou Ronat, qui participait aussi aux travaux de la revue Change, fondée par Jean-Pierre Faye pour contrer l’influence de son adversaire le plus redoutable, Philippe Sollers. Devenu maoïste en 1971, celui-ci avait vainement tenté de créer une avant-garde « telqueliste » au sein du Parti communiste, notamment lors du colloque organisé en 1970 par Antoine Casanova et la Nouvelle Critique à l’abbaye de Cluny. Là s’étaient réunis de nombreux universitaires venus parler d’Heidegger, du renouveau de l’approche marxiste de la philosophie, autour de Louis Althusser, des œuvres de Lévi-Strauss, Derrida, Lacan...
Ce moment de controverses marquait pour le Parti communiste français l’entrée dans une ère nouvelle : union de la gauche en politique, dépassement des anciens dogmes du réalisme socialiste, sortie du stalinisme. Chacun avait en tête la publication, en 1962, d’un livre majeur, Une journée d’Ivan Denissovitch, dans lequel Alexandre Soljenitsyne décrivait pour la première fois – et avec quel génie – les conditions de vie dans un goulag.
En 1975, après la fermeture par François Maspero de la Joie de lire, fut créée, rue Saint-André-des-Arts, la librairie la Répétition, ouverte jusqu’à 3 heures du matin. Elle devint le siège de la revue Action poétique. Chaque vendredi, elle recevait des auteurs pour des signatures de livres : poètes, romanciers, historiens, philosophes. Georges Perec, François Roustang, Octave et Maud Mannoni s’y retrouvaient. Cette librairie, qui fut ensuite reprise par Maspero en 1979, ressemblait à celle d’Adrienne Monnier ouverte en 1915 rue de l’Odéon et qui organisait des lectures publiques.
Plusieurs membres de la revue fréquentaient aussi le Cercle Polivanov à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), animé par Léon Robel, spécialiste de la langue et de la poésie russe, fils d’émigrés juifs moldaves, entré très tôt dans la Résistance. Ami d’Aragon, de Roman Jakobson, de Lili Brik et d’Elsa Triolet, il contribua, comme Claude Frioux, à la traduction des œuvres de tous les grands poètes russes, tout en développant avec Roubaud et Jean-Claude Milner une longue réflexion sur la théorie de la traduction qui était aussi une critique des errances du communisme stalinien, accusé d’avoir « gaspillé ses poètes », selon le mot de Jakobson.
Jusqu’en 2012, toujours en quête de nouveaux auteurs, Henri Deluy poursuivit la mission qu’il s’était attribuée depuis sa jeunesse : écrire, traduire, cuisiner, militer, voyager, continuer à être communiste à sa manière dans un monde qui avait vu imploser le communisme. Il décida alors de mettre fin à l’aventure de cette revue qui avait pris une ampleur inattendue. Un an plus tard, il retourna vivre à Marseille auprès de ses plus chers amis, Jean-Jacques Viton et Liliane Giraudon.
Dans une lettre de 2020, écrite depuis la place Castellane, où il ne pouvait plus aller, paralysé par la maladie, celle-ci rédigea ces mots adressés à l’ami tellement aimé : « Chaque matin, je dessine dans la cuisine des sortes de poèmes coloriés (…) un “poème aïoli” car figure-toi que la nuit dernière j’ai rêvé que nous mangions tous un aïoli (…). Toi tu tentais inutilement d’expliquer la non-différence entre le cabillaud et la morue (…). En me souvenant de ce rêve réunissant des morts et des vivants avec une telle allégresse je me demande en t’écrivant si on y buvait du rhum ou de l’anis. »
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Sandra Moussempes pour LibrCritique
Cette lettre écrite à Henri Deluy en juillet 2021 n’a pu lui être adressée car il venait de mourir…
Cher Henri,
Le temps passe et les cycles reviennent. Tu es maintenant à Marseille avec Liliane (Giraudon) tout près.
Je me remémore ma première publication en revue dans Action Poétique en 1992, un moment charnière dans ma vie. J’avais 26 ans. Puis ta proposition qu’on fasse un livre, Exercices d’incendie est paru en 1994. Je n’avais jusque-là jamais envisagé d’être poétesse. C’est là que j’ai compris que je venais de trouver ma place.
Je t’ai croisé lorsque j’étais adolescente, de loin, on pouvait te reconnaître à ton rire étonnant. Puis je me souviens du Henri de la poésie avec son intégrité, son caractère d’homme libre, celui qui m’a permis de retrouver un peu de confiance en l’être humain. Et tu aurais pu comme certains, t’en tenir à une relation vaguement condescendante avec celle qui avait perdu l’être qui comptait le plus dans sa vie, son propre père. Celle qui n’avait plus sa place dans une famille en recomposition-décomposition, où elle subissait dans l’ombre des événements traumatiques. Or, tu m’as regardé non pas comme une jeune femme tourmentée mais comme une poétesse. Quand tant d’autres auraient joué les pygmalions ou même tenté des approches douteuses.
Pour la sortie d »Exercices d’incendie, tu m’as invitée à dîner au Dôme à Montparnasse près de chez moi où je n’avais jamais été avant. (Tu aimais les nourritures terrestres, faisais de tes recettes un art à chaque quatrième de couverture d’Action poétique). Je me souviens d’un dessert magique, une sorte de crème aux oeufs délicieuse. Mon père allait souvent au Select juste en face. Je pense que vous vous seriez appréciés tous les deux, lui avec son excentricité flegmatique de grand seigneur un peu dandy mega-cultivé et toi avec ton intensité engagée. Vous auriez parlé d’Artaud à tous les coups qu’il adorait, de Raymond Roussel, de la revue féministe Sorcières peut-être, qu’il me faisait lire lorsque j’étais enfant. Dommage que tu ne l’aies pas connu.
Pour revenir à ces années 90, j’avais retrouvé une place à Londres dans la musique électro et le milieu underground où j’évoluais. A Paris je retournais vers l’écriture, vers mon centre. Lorsque tu as publié mon premier livre ce centre a pris la place. L’errance s’est mue en errance métabolique qu’on place dans les poèmes. Et ton regard fut d’une rigueur bienveillante, me faisant confiance, jamais paternaliste.
Tu es aussi de ceux qui avouent quand ils se sont trompés et qui sait renouer avec panache, c’était à la sortie de mon livre Photogénie des ombres peintes. Alain Nicolas avait fait un bel article dans L’Humanité. Que tu m’as tendu après une lecture à Paris avec Liliane et Philippe Beck. Nous avons repris contact. Nous ne nous parlions plus depuis un moment sans savoir d’ailleurs pourquoi. Il y avait Virgile mon fils et tu es devenu tonton Henri comme l’était tonton Jean-Jacques (Vitton), c’était extrêmement émouvant de te voir donner la main à mon fils, t’en occuper avec patience, Liliane en riait. Il s’en souvient encore. La dernière fois que je t’ai vu remonte à une dizaine d’années à Arles, avec Liliane et Jean-Jacques. Là aussi tu jouais avec Virgile.
Tu es un être entier et dans ce milieu c’est plutôt rare avec ton regard intense et fier d’homme du Sud. Tu restes unique. Tu as tant fait. Avec Action Poétique, IF, les traductions, la Biennale à Ivry, ton oeuvre poétique marquante (publiée en partie chez notre éditeur commun et poète Yves Di Manno, à qui je dois beaucoup aussi et qui a su me guider, me faire confiance pour les cinq volumes que j’ai publié chez Flammarion). Une passion pour la poésie, un engagement total.
Avec 29 Femmes une anthologie (Stock 1995) toi et Liliane avez pour la première fois mis en avant les femmes poètes en France, tout en partant du postulat qu’il n’y avait pas d’écriture féminine. Vous vous êtes pris les foudres de certains machistes. Il existe encore des omertas, des prédateurs qui hantent toujours ce milieu, j’en ai fait les frais plusieurs fois. Je me suis retrouvée dans des situations où j’ai dû fuir, puis subir ensuite parfois quelques « représailles » mesquines. Mais l’intégrité reste essentielle. Au final, seuls les livres et le travail comptent. Et peu importe le théâtre des vanités. Toi comme Yves ou Liliane me l’avez toujours dit lorsque par moments je doutais.
Je viens d’écrire (tout comme Liliane) une lettre dans une anthologie « Lettres aux jeunes poétesses » sur le modèle de Rilke, j’évoque cette place et ce trou béant qui surgit parfois, ce qui donne place à l’écriture. Place et écriture.
Je pense à toi très fort, je sais que tu te sens seul, on l’est tous d’une certaine manière.
J’espère que tu as bien reçu ma carte postale avec Jimmy Hendrix.
Liliane est là et veille sur toi avec amour.
J’espère venir dans le Sud, et je passerai te voir à la maison de retraite.
Je t’embrasse
Sandra
DELUY Henri, par Ioana Popa
Le Maitron, 2008 revu en 2021
Né 25 avril 1931 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 20 juillet 2021 à Marseille ; poète, traducteur, journaliste, directeur de la revue Action poétique, co-fondateur de l’Union des écrivains français et initiateur de la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne ; directeur de la bibliothèque municipale d’Ivry-sur-Seine ; membre du PCF ; occupe en Mai 68 le siège de la Société des gens de lettres.
Fils d’un peintre en bâtiment provençal et d’une coiffeuse d’origine italienne (ses grands-parents maternels émigrèrent du Piémont en France pour des raisons économiques, avant la Première Guerre mondiale), Henri Deluy passa son enfance dans une ville très cosmopolite, où différentes langues et cultures se mêlaient, que cela soit dans le faubourg ouvrier de Marseille où il habita ou à l’école primaire qu’il fréquenta. Après le divorce de ses parents, il fut élevé par sa mère et son beau-père (détenteur du brevet et cuisinier sur les paquebots) dans l’un des quartiers populaires de Marseille, La Capelette. S’il grandit dans un milieu très pauvre, Henri Deluy fut cependant encouragé par sa famille à poursuivre sa scolarité jusqu’au lycée. Alors qu’il arrivait en classe de seconde, le goût de l’aventure l’emporta néanmoins sur celui des études puisqu’il les interrompit afin de voyager à travers l’Europe, et notamment en Italie et aux Pays-Bas, de 1948 jusqu’à la fin de l’année 1951. Henri Deluy rencontra à cette occasion sa future épouse, Ans, d’origine néerlandaise. Si ce périple encouragea des pratiques linguistiques et littéraires autodidaxiques - il apprit, entre autres, le néerlandais, la langue de sa femme -, il alla toutefois de pair avec une scolarité perturbée et décalée. De retour à Marseille, et après avoir accompli son service militaire jusqu’en 1953, Henri Deluy reprit cependant ses études en passant son baccalauréat à l’âge de vingt-quatre ans. Un nouvel abandon - qui s’avéra, une fois de plus, provisoire - scanda sa trajectoire scolaire : après la naissance de son premier enfant, Henri Deluy renonça momentanément au projet de poursuivre des études universitaires pour devenir instituteur remplaçant en 1954, puis instituteur titulaire, un an plus tard. Il fit ensuite une année de propédeutique, alors qu’il continuait d’enseigner, ce qui l’amena à occuper le poste de professeur au collège, grâce à la création récente des collèges d’enseignement secondaire ouverts aux instituteurs ayant commencé des études universitaires. Il y renonça cependant assez rapidement pour devenir, au début des années 1960, journaliste au quotidien La Marseillaise pendant trois ans.
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Pierre Getzler 1977, Henri Deluy et Marc Papillon, capitaine de Lasphrise, dans AP nr. 73
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Rencontres avec Henri Deluy par Alain Lance
Europe No 984
Il est de ceux qui, à force d’écrire et de penser contre, requalifient le lyrisme. (Gérard Noiret)
C’était au début de l’année 1959. Un employé du Gaz de France, sachant que le fils d’un de ses collègues avait la marotte de la poésie, lui apporta un numéro d’une revue encore très peu connue à l’époque. Ce collègue était mon père, il était syndiqué à Force ouvrière mais son ami avait la carte de la CGT. C’est d’ailleurs, semble-t-il, à l’occasion d’un congrès de ce syndicat dans la ville de Marseille que le cégétiste avait acheté à mon intention cette publication.
La lecture de cette modeste revue (une cinquantaine de pages dans un format d’environ 13 sur 20), qui reprenait en 2 de couverture la fameuse formule La poésie doit avoir pour but la vérité pratique, suscita en moi des réactions contradictoires. Si j’éprouvai d’emblée de la sympathie pour la ligne générale qu’elle affichait (le dégoût suscité par la guerre d’Algérie avait accéléré dans ma génération une prise de conscience politique), l’écriture de certains textes me laissait perplexe. La poésie que j’écrivais alors était marquée par l’influence de Philippe Soupault – que je venais de rencontrer et qui m’avait prodigué ses encouragements – et le léger post-surréalisme dans lequel je baignais avait quelque chose de rêveur. Je préférais l’ironie et l’insolite à la poésie de combat.
Cela ne m’a pas empêché d’envoyer quelques poèmes à celui qui dirigeait cette revue, Henri Deluy, 21, boulevard Gariel, Marseille, quatrième arrondissement. Un des membres du comité de rédaction, Pierre Guery, m’a adressé une réponse amicale, m’incitant à lui soumettre d’autres textes. Et le numéro 8 de décembre 1959 publiait un assez long poème dans lequel je tentais, non sans grandiloquence et naïveté, d’exprimer la rupture avec les brumeuses élucubrations de l’adolescence :
Non les amis
Pour moi c’est fini
C’est ici que je ne prends plus le même métro
En bas les rails vont vers l’infini
Et sur le quai
La pluie du matin s’en vient par la rame des ouvriers
Délayant dans le sang
Nos rêves au néon
(...)
À la suite de la disparition brutale de mon correspondant, ce fut avec Jo Guglielmi que j’échangeai une correspondance assez suivie. Ce qui me donna l’envie de rencontrer les animateurs de cette revue.
En juin 1960, après avoir passé l’examen de propédeutique, je suis « descendu » dans le midi en auto-stop, m’installant à l’auberge de jeunesse de Cassis. Dans les calanques, je vis pour la première fois la lumière méditerranéenne et le bleu intense de la mer. Cette violente beauté resta longtemps pour moi indissociable de la forte impression provoquée par la lecture de certains poèmes d’Henri Deluy :
J’abandonne au vent
Le cerne endommagé des nuages
Le salpêtre si rare
Cette zone trop calme
La mainmise du ciel
Sur les torrents dressés
L’arme prête aux rocailles
Henri m’avait donné rendez-vous chez lui. Contre la chaleur de l’après-midi, les persiennes fermées maintenaient l’appartement dans la pénombre. Son accueil fut cordial, un peu réservé. Il m’écoutait en mordillant une énorme pipe, j’observais son beau visage au teint mat, ses yeux sombres. Il portait des jugements abrupts sur la littérature (« ce qui n’a pas de sens n’a pas de sang ! ») et sur la politique : alors que je lui demandais quelle était la couleur politique de la mairie de Marseille, il me répondit froidement : « SFIO, autant dire d’extrême droite. »
Guglielmi nous a rejoints en fin d’après-midi, ainsi que mon ami le peintre Fernand Teyssier, qui était lui aussi venu à Cassis. Nous sommes allés dîner tous les quatre au bord de la mer et la discussion, ponctuée de lectures de poèmes, s’est prolongée très tard dans l’appartement de Jo. Quelques bouteilles vides étaient restées sur la table lorsque le jour s’est levé. Nous avions passé la nuit à parler poésie et politique. En décembre de la même année paraissait le numéro 12 de la revue, un ensemble entièrement consacré à la guerre d’Algérie, qui s’ouvrait sur un poème de Guillevic. Au sommaire figuraient, outre les noms des animateurs de la revue comme Henri Deluy, Jo Guglielmi, Jean-Jacques Viton, Jean Todrani, Serge Bec, Gabriel Cousin, ceux de Franck Venaille, Luc Boltanski, Charles Dobzynski, Antoine Vitez, Paul Rossi (auquel manquait encore le second prénom Louis). Des dessins de Lapoujade, Corneille, Louis Pons et Michel Raffaelli illustraient ce numéro où j’étais également présent avec un bref poème dédié à mon ami le peintre Fernand Teyssier, qui ne bénéficiait pas, comme moi, d'un sursis, et venait de partir au service militaire.
L’automne 1960 fut marqué par de nombreuses initiatives contre la guerre d’Algérie, après le coup d’éclat du Manifeste des 121. Pour la première fois, l’UNEF, le syndicat des étudiants, s’engageaitnettement en faveur d’une négociation avec les représentants du FNL algérien. Le 27 octobre, plusieurs manifestations – en ordre dispersé – se déroulèrent à Paris à l’appel de syndicats et du Parti communiste. C’était justement cette date qu’avait choisie Henri Deluy, « monté » de Marseille, pour réunir, au premier étage d’un café de la rue des Écoles, les correspondants parisiens d’action poétique.
Dans un Quartier latin quadrillé par les forces de l’ordre, nous nous sommes retrouvés le soir au premier étage de ce café. Une dizaine de poètes, parmi lesquels André Laude, Lionel Richard, Michel Jourdain, Franck Venaille, Charles Dobzynski. Nous avons bien sûr longuement discuté de poésie et de politique. Quelqu’un manquait cependant : Henri Deluy, l’organisateur de ce rendez-vous ! Avait-il été embarqué par les flics à l’issue d’une des manifestations ? Longtemps je n'ai pas su pourquoi nous l’attendîmes en vain ce soir-là. Quelques années plus tard, il me confia que son absence était due à une brève passion amoureuse et qu'il s'était dit : après tout, que les Parisiens proches de notre revue fassent connaissance, n'est-ce pas l'essentiel ?
Ce fut pour moi le début d’une collaboration, d’abord épisodique certes, au travail d’une revue qui correspondait de plus en plus à mes préoccupations. J’y fis notamment paraître, en 1965, mes premières traductions d’un ami poète est-allemand, né la même année que moi, que je venais de rencontrer à Leipzig : Volker Braun. Cinq ans plus tard, Henri publiera d’ailleurs dans la collection La poésie des pays socialistes qu’il avait créée chez Pierre-Jean Oswald le premier livre de poèmes de Volker dont il m’avait confié la traduction : Provocations pour moi et d'autres.
Après un séjour de deux ans en Iran, je revins à Paris en juillet 68 alors que le « mouvement de mai » s’achevait. Je me souviens que je revis alors Henri à la Société des Gens de Lettres encore occupée par l'Union des écrivains récemment fondée. Henri en avait été un des acteurs, avec Bernard Pingaud, Franck Venaille, Jean-Pierre Faye, Guillevic, Roger Bordier et quelques autres. De novembre 68 à l'été 69, j'ai travaillé à Berlin-Est afin de me remettre dans le bain de la langue allemande. C'est pendant ce séjour que j'ai préparé la traduction du livre de poèmes de Volker Braun.
Après mon retour à Paris, Henri m'a proposé de rejoindre le comité de rédaction de sa revue. Les années soixante-dix d'action poétique me laissent le souvenir d'une période passionnante et fructueuse, nous nous réunissions dans l’appartement d’Elisabeth Roudinesco et d’Henri, dans le quatorzième arrondissement de Paris. J’ai pu ainsi mieux connaître des poètes aussi différents que Charles Dobzynski, Jacques Roubaud, Lionel Ray, Maurice Regnaut, Pierre Lartigue, Bernard Vargaftig, Paul Louis Rossi, Marie Etienne, Gil Jouanard, et aussi Claude Adelen, Yves Boudier, Jean-Charles Depaule, Martine Broda, Jean-Pierre Balpe, Marc Petit, Liliane Giraudon, quelques autres encore. Deux jeunes femmes, Elisabeth Roudinesco et Mitsou Ronat, ouvraient notre horizon sur la psychanalyse et la linguistique. Chaque numéro de la revue était préparé collectivement, dans une ambiance joyeuse, cela se terminait par un repas mijoté par Henri. Nous explorions les avant-gardes du vingtième siècle, revisitions les formes poétiques du passé, réagissions à notre manière aux événements politiques, traduisions beaucoup. Et, souvent, nous nous retrouvions dans les manifestations. Je me souviens que Jacques Roubaud notait systématiquement les slogans repris en
chœur dans les cortèges afin de les analyser du point de vue prosodique. Il me dit un jour : le PSU avait un slogan de dix-sept syllabes, cela n'a pas tenu plus de cent mètres !
Nous avons concocté, avec Pierre Lartigue comme cuisinier en chef, un mémorable numéro sur la poésie et la cuisine. Et pendant de nombreuses années Henri présenta, avec une saveur culinaire et poétique, une recette sur la quatrième de couverture de notre revue. Il y eut bien sûr des crises, des démissions, parfois des retours, des brouilles, des éloignements. D’autres poètes, plus jeunes, nous rejoignirent au comité de rédaction, la plupart du temps à l’instigation d’Henri, apparemment infatigable. Sans sa passion, sans sa curiosité, action poétique n’aurait jamais connu une telle diversité ni une telle longévité : plus d’un demi-siècle d’existence !
Toutes ses activités et ses voyages (songeons à ce qu’il a accompli durant une quinzaine d’année à la direction de la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne) n’ont pas empêché Henri Deluy de mener à bien une œuvre considérable de poète et de traducteur. Et c’est cette part essentielle de lui, son apport singulier à la poésie contemporaine*, qu’il importe de redécouvrir.
(*) Je recommande notamment l’essai que lui a consacré Claude Adelen, Henri Deluy : une passion de l’immédiat, éditions Fourbis, 1995. Cet article, ici légèrement remanié et corrigé, est paru initialement dans le n° 984 d’Europe qui comportait un dossier consacré à Christa Wolf. Il est paru au moment des 80 ans d’Henri Deluy.
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HENRI DELUY (1931-2021) par Patrick Beurard-Valdoye
Les Célébrations
Sitaudis
Henri Deluy avait la fermeté du décideur autant que la souplesse du danseur de tango. Longtemps il crut au vers, cette « exigence de vertu », et milita pour un type de vers sobre quasi anti-lyrique. Un cadre formel, avec sa logique métrique - voire arithmétique – nourrie de l’histoire, creusant vers l’avant. Pour ne pas en dire trop.
Ce qui ne l’empêcha pas de publier L’amour charnel (Flammarion, 1994), dont la deuxième partie s’intitule « La vérité, c’était de la prose ».
Car il avait un rire aux éclats parlant. Mémoire vivante de soixante ans d’arts poétiques, il connut presque tout le monde. Il connut vraiment, en personne, et il pouvait déplacer une demi-montagne pour une rencontre. Parmi les surréalistes il appréciait particulièrement René Crevel, dont les provocations aux réunions de la place Blanche faisaient de lui quelqu’un « d’impossible ».
Il était habité par la poésie, mot qu’il n’aimait pas trop, espérant faire sortir le poème de la poésie, pour en élargir le champ. Il était habité par les poèmes des autres. Surtout ceux de Maïakovski, de Tsvétaïeva, ou d’Akhmatova, ou de Mandelstam, qu’il a traduits. Son Maïakovski, l’amour, la poésie, la révolution (Le temps des cerises) par exemple, mêlant choix de poèmes traduits, images de Rodtchenko et adresses personnelles à Maïakovski, est une vibrante réussite.
Il traduisait souvent en binôme. Du néerlandais, avec sa fille Saskia. Si dans la langue source il y avait des néologismes, il faisait en sorte de restituer le poème dans un français impeccable. Il pratiquait une belle langue, homogène.
Son ouverture réjouissait. Et il savait écouter, toujours aux aguets, à l’affut. Un jour, je lui demandais ce qui l’intéressait chez Kurt Schwitters. C’est qu’à Prague, jadis, Henri avait été invité chez de vieux poètes tchèques, qui lors d’une nuit arrosée à la slivovitz, avaient raconté passionnément la soirée Dada avec Schwitters et Hausmann à laquelle ils avaient assisté.
Sa bibliographie dépasse trois pages complètes. Il écrivait vite, mais revenait sans cesse, insatisfait, luttant contre la facilité et l’immédiateté. Dans Les Goudes (que l’on entend lu par l’auteur sur le site du CIPM), évoquant le trajet régulier de l’auteur marchant le long de la mer silencieuse :
Quelques phrases étaient toujours de trop
j’essayais de les éliminer avant d’arriver
Parfois – par un silence prolongé – parfois
Par une surcharge que j’ajoutais
À l’EHPAD marseillais où il vécut ses derniers mois, paralysé, lui lisant des extraits de L’heure dite (Flammarion), je me suis arrêté sur un diptyque : « Ah ! c’est beau ça ! » Mais l’on ne pouvait pas parler de la beauté d’un poème. Il rectifia donc, avec le sourire : « C’est pas si mal ! ». Ma visite s’est conclue par ces mots : « Henri, merci pour tout ce que tu as fait ! ». Et sa réponse : « Pas de quoi ! Ciao ! ».
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Eric Giraud (left), Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton (May 24,1933–March 14, 2021), Susan Bee, me, Henri Deluy: Marseille, November 22, 2016.
Henry Deluy (April 25, 1931–July 20, 2021)
Saddened to have lost the great poet, publisher, and literary organizer and friend, Henri Deluy. Here’s a poem I wrote “after” his writing in the Sun & Moon book, Carnal Love.
Douglas Messerli
the silence no body had ever given
after Henri Deluy
I didn’t, couldn’t, wouldn’t maybe
shouldn’t know why
because the evidence was there,
the truth no longer needed
the draft of the secret
shared, something immobile
and stifling in the air. No,
it was not an ordinary day.
You began to laugh into a groan
because the truth was useless. If you knew
the truth you wouldn’t say that you knew
about the truth despite the persistent
trace of the evidence of not knowing
the secret that might or might not
have been shared that night, hung
out to dry cautious, precise, articulated
so slowly that you forgot what the evidence
of the ordinary day might have been
showing up on the tongue, the lip,
the hip at your disposal, the obligation
to attain clarity. No, it was all so perfectly
planned out, special, arranged that I didn’t,
couldn’t have any longer in the intense
glare of the everyday sun know where
or what was down or up or in or out or hung
to die like the imaginary proof of our having
been there, where the truth had become the lie.
Los Angeles, July 21, 2021
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FRANCIS COMBES
Nous venons d’apprendre le décès d’Henri Deluy, à l’âge de 90 ans.
Henri fut poète, traducteur, l’animateur inlassable de la revue Action poétique et l’initiateur de la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne. Il était aussi un camarade.
Né à Marseille, en 1931, Henri Deluy m’a souvent parlé de sa famille et du milieu populaire de son enfance. Son père était peintre en bâtiment et sa mère, d’origine italienne, coiffeuse. Après la séparation de ses parents, il fut élevé par son beau-père, cuisinier dans la marine, au quartier de la Capelette, à Marseille. C’est peut-être de lui que lui venait ce goût pour la cuisine, notamment provençale, à laquelle il s’adonnait en amateur éclairé et en critique inspiré.
Tout jeune il avait envoyé ses premiers poèmes à Blaise Cendrars, qui l’avait corrigé et encouragé.
À seize ans il adhère aux Jeunesses communistes, puis il collabore à La Marseillaise. Il se lie aussi au groupe des poètes qui fondent à Marseille la revue Action poétique, Gérald Neveu et Jean Malrieu. Il en prendra la direction en 1958 avec la volonté d’en faire la revue de la jeune poésie. Il animera Action poétique jusqu’en 2012 où il décide de mettre fin à l’aventure (et alors que la situation économique de la revue était bonne), jugeant que les jeunes devaient faire, s’ils le souhaitaient, leur propre revue.
Dans les années soixante, le groupe des poètes qui tournaient autour de la revue, (majoritairement communistes) étaient très engagés, notamment dans le refus de la guerre d’Algérie. (Mais Henri Deluy pour sa part se montrait réticent envers l’idée de la « poésie nationale » qu’avait développée Aragon dans la décennie précédente).
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, l’engagement politique en poésie ayant beaucoup reculé, la revue prit une autre tournure, plus centrée sur les expériences formelles.
Pendant des années, Action poétique fut en tout cas pour de très nombreux amoureux de la poésie une fenêtre ouverte non seulement sur la création mais aussi sur les poésies étrangères et sur les « avant-gardes » d’hier et d’aujourd’hui.
Il le fit avec des poètes comme Charles Dobzynski, Jacques Roubaud, Alain Lance, Joseph Guglielmi, Jean-Pierre Faye, Yves Boudier, ou la psychanalyste Élisabeth Roudinesco qui fut sa compagne.
À ce poste de vigie poétique il fit preuve de passion, qui n’excluait pas parfois des partis-pris ou des emportements, mais qu’animait toujours un amour vrai de la poésie et une curiosité toujours en éveil.
Henri Deluy cultivait aussi une grande curiosité, d’autodidacte, pour les langues étrangères. C’est ainsi que lors d’une voyage aux Pays-Bas, il fit la connaissance de sa première femme, Ans, apprit la langue et vécut dans le pays. Il a d’ailleurs récemment publié une anthologie de la poésie des Pays-Bas, aux éditions Le Temps des Cerises où il dirigeait la collection Action poétique.
Il a publié comme poète une vingtaine de livres, notamment aux éditions Flammarion.
Dans l’un de ses derniers recueils, « Imprévisible passé », il évoque des moments de son parcours.
Pour lui, le poète n’écrivait pas forcément ce qu’il voulait mais ce qu’il pouvait. En fonction de ce qu’il était. Ce qui, d’ailleurs, est la vraie réponse aux controverses sur l’engagement en poésie.
Il a aussi récemment retraduit le poète russe Vladimir Maïakovski.
En 1964, répondant à une proposition de bourse de l’Union des écrivains de Tchécoslovaquie, il s’était rendu à Prague où il vivra pendant quatre ans, apprenant la langue et traduisant notamment Novomesky et Seifert.
Pendant son séjour à Prague, Pierre Jean Oswald lui avait confié la direction de la collection « Poètes des pays socialistes », par laquelle nous avons découvert Volker Braun, Vladimir Holan, Vélimir Khlebnikov ou les poètes du peuple chinois.
En 68, il dénonça, comme le PCF, l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie, et lui qui fut un communiste convaincu devint profondément antistalinien. En 1990, après avoir été longtemps bibliothécaire à Ivry, il proposa à Michel Germa, président communiste du Conseil général du Val-de-Marne, de créer la Biennale internationale des poètes. Ce festival fut pendant de nombreuses années l’un des principaux festivals de poésie en Europe où il a fait inviter des centaines de poètes du monde entier.
En 2011, Henri Deluy m’a proposé de prendre la suite de Jean-Pierre Balpe, à sa direction. (Nous n’avons jamais eu vraiment les mêmes conceptions concernant la poésie mais cela n’empêche ni l’estime ni l’amitié). Ce fut pour moi une expérience passionnante et j’ai assumé cette direction dans un esprit d’ouverture, avec le souci d’élargir autant que possible le nombre des habitants touchés par la poésie. Ce que nous avons fait avec succès, jusqu’à la malheureuse décision des élus communistes du département de supprimer le festival en 2018.
Pendant cette période, avant qu’il se fût retiré à Marseille, j’ai eu de très nombreuses occasions de parler avec Henri. Son expérience et sa mémoire m’ont été et me demeurent précieuses. Nous adressons nos pensées amicales à ses proches et ses amis, à ses enfants ainsi qu’à la poète Liliane Giraudon qu’il aima.
Liliane Giraudon, MAP (Marseille Ambiance Poème), COCKPIT voice recorder, hors-série 1
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Hans Thill Stele [griech.] Pfeiler, Säule als Grab- oder Gedenkstein
Die Stelen sind der Anfang einer Sammlung kleiner literarischer „Gedenksteine“ in Form eines Gedichtes jüngst verstorbener Dichter, überwiegend fremdsprachiger, aber auch deutschsprachiger. Ausgangspunkt sind unter anderem aktuelle Todesmeldungen in den poetry news. Idee und Konzept: Hans Thill.
Henri Deluy
(Marseille 1931 – ebenda 2021)
Die Dekoration und den Lyrismus meiden,
Den Lyrismus und die reine Dekoration meiden,
Die Dekopration und den reinen Lyrismus.
Auf eine stärker verdichtete Örtlichkeit hinzielen,
Weniger eloquent, stärker analytisch. Weniger
Konventionen, selbst wenn sie recherchiert sind. Mehr
Beläufiges, Annäherung. Weniger Formeln,
Mehr Beobachtungen.
*
Nicht sein Leben erzählen.
Deutsch von Ursula Krechel. Aus: Gregor Laschen (Hg.) Der Finger Hölderlins.
Poesie aus Frankreich. edition die horen, Bremerhaven 1996.
»Zu sagen, ein Dichter schreibt, was er will, das stimmt nicht. Er schreibt, was er kann. Aber er schreibt es mit dem, was er ist.«
»Er war von Poesie erfüllt, obwohl er dieses Wort nicht sehr mochte, denn er hoffte, das Gedicht aus der Poesie lösen zu können, zur Erweiterung des Geländes. Er war erfüllt von der Poesie der Anderen.«
Patrick Beurard-Valdoye
Henri Deluy wurde 1931 in Marseille geboren und begann als Jugendlicher zu schreiben, wobei er in Blaise Cendrars einen frühen Förderer fand. Er arbeitete für die Literaturzeitschrift Cahiers du Sud und nach seinem Studium als Journalist bei La Marseillaise. Später gründete er das Poesiefestival Biennale internationale des poètes in Val-de-Marne. Mehr als 50 Jahre lang leitete er die Zeitschrift action poétique, die als wichtiger Treffpunkt der französischen und internationalen Lyrik galt. In seiner Dichtung lassen sich Einflüsse befreundeter Dichter wie André Breton oder Benjamin Peret finden sowie von osteuropäischen Autoren und russischen Futuristen. Henri Deluy starb im Alter von neunzig Jahren im Juli 2021 in Marseille.
26.08.2021
Éric Loret
pour Le Monde, 20/07/2021
En 2012, Henri Deluy décidait de mettre un terme à l’aventure de la revue Action poétique, qu’il dirigeait depuis 1958, refermant ainsi une page de l’histoire littéraire française. Poète, traducteur, anthologiste émérite et grande figure de passeur, il est mort le 20 juillet, à 90 ans, à Marseille.
Sa disparition vient comme entériner la fin d’une époque, celle des revues et de la domination de la poésie dans le champ théorique de la création française : désir de changer le monde, de s’ouvrir à lui – en particulier à travers des traductions défricheuses – ou plus modestement d’interroger la langue qui permet de lui donner forme. En 1993, déjà, Deluy avait piqué au vif ses collègues en mettant au programme du numéro 133-134 d’Action poétique cette question facétieuse : « La forme-poésie va- t-elle, peut-elle, doit-elle disparaître ? » Il venait pourtant de créer, en 1991, la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne.
Une poésie sonore
Deluy et Action poétique, c’est une histoire sociale, politique et locale bien particulière. La revue a été fondée par Jean Malrieu et Gérald Neveu, en 1950, à Marseille. Le premier est instituteur, le second employé des PTT. Tous deux militent au Parti communiste. Né le 25 avril 1931, lui aussi à Marseille, d’origine modeste, Henri Deluy les rejoint en passant par les Cahiers du Sud : un peu auparavant, il a sillonné l’Europe, a rencontré l’avant-garde poétique hollandaise et le groupe Cobra grâce à sa première épouse.
Une fois revenu, il devient instituteur puis journaliste pour La Marseillaise. Entre les Cahiers du Sud et Action poétique, on trouvera des noms en commun tels ceux de Joseph Guglielmi, Jacques Roubaud ou Jean-Jacques Viton, qui fondera plus tard la revue If, au comité de laquelle Deluy siégera. Cette avant-garde provençale va rhizomer jusqu’aux années 1990-2000 et entrer en résonance avec des lignes éditoriales comme celles de P.O.L ou d’Al Dante. Si les premières années, au temps de la guerre d’Algérie, étaient très militantes, Deluy n’a pas fait d’Action poétique une revue partisane mais, quoique « de gauche », ouverte à (presque) tous les débats théoriques et les formes contemporaines et anciennes de poésie, depuis les troubadours galégo-portugais jusqu’à la performance.
Infatigable traducteur (Akhmatova, Maïakovski, Pessoa, Tsvetaïeva, etc.), Deluy prend parfois la plume pour préciser le champ d’Action poétique : si sa génération est née contre la tentation du « retour au vers régulier » proposée par Aragon, elle s’arrête aussi, littérairement, à la poésie sonore ou littérale : « Les aptitudes du langage à manier la sensibilité, et vice-versa » lui importent avant tout (cité par Pascal Boulanger, « Action poétique », Flammarion, 1998).
« Prague référence »
Au milieu des déchirements communistes des années 1950 aux années 1980, Deluy est certes bousculé (voire momentanément destitué) mais il garde un cap en quelque sorte multilatéral, malgré défections et excommunications. Il s’échappe, cependant, entre 1964 et 1968 en s’installant à Prague, où il adhère à l’Union des écrivains. Dans son dernier recueil, d’inspiration autobiographique, Kérosène kitch (Flammarion, 2017), il revient sur cette période avec nostalgie et scepticisme : « Prague référence/Mai 68/Est-ce que tout/Ce que tu crois/A du moindre/Encore du sens. »
Il y est aussi beaucoup question de femmes : « Elisabeth, Mitsou, Danielle et d’autres », à savoir Roudinesco, Ronat et Collobert, vers la fin des années 1960. La première devient sa compagne jusqu’en 1979. Elisabeth Roudinesco introduit la psychanalyse dans Action poétique, et fournit entre autres des armes contre l’heideggérisme du mouvement Tel Quel. Ils publient ensemble
La Psychanalyse mère et chienne en 1979 (10/18, 1979).
« Tu es celui/Qui a été c’est ainsi sur une fenêtre primitive privée/D’occasion privée d’épaule privée de bois ouverte/Roulures mortes jamais nées vivantes jamais mortes/L’amour couché langue femmes désormais corps/Prolongé instrument de ta mort ne pas confondre » : au moment de faire le bilan, les derniers textes de Deluy reviennent sur l’échec du communisme et les poèmes « médiocres » qui en ont parfois résulté, mais aussi sur la nécessité du chant collectif, car « C’/ Est/Toujours/Triste/Un/Mot /Seul/Une/Phrase/Seule ».
Itinéraires. Entretiens de poésie, avec Yves Boudier, octobre 2021
Hommage à Henri Deluy
Marché de la poésie, 24 octobre 2021, Place Saint Sulpice, Paris
Yves di Manno, Élisabeth Roudinesco, Claude Adelen, Yves Boudier
Hommage à Henri Deluy
Dimanche 24 octobre Scène du Marché
Claude Adelen
Yves Boudier
Yves di Manno
Liliane Giraudon ( absente grève SNCF)
Élisabeth Roudinesco
Claude Adelen, Yves Boudier
Yves di Manno, Élisabeth Roudinesco
Liens Utiles :
:
https://www.marche-poesie.com/
http://cipmarseille.fr/actu.php
http://www.biennaledespoetes.fr/
https://lmda.net/ (Le Matricule des Anges)
https://bipval.skyrock.com/1.html (vidéos des lectures BIPVAL Biennale)
https://www.entrevues.org/rdr/